Le pitch
Ca laisse rêveur.
Du style tu fermes la porte du garage à 20h30, tu dis au-revoir à la tour Eiffel et tu pédales jusqu’à la mer d’une seule traite.
Et genre au petit matin tu attrapes un bateau qui te fait traverser la Manche.
Et allez pour finir quelques coups de pédale te font atterrir au bord de la Tamise à Londres.
Il y a bien un trajet officiel qui rallie les deux capitales. C’est le projet d’avenue verte Paris > Londres qui propose de faire la liaison en 8 jours. Le trajet tournicote à souhait pour aller chercher des routes de compagne, des chemins un peu (trop) rustiques pour des pneus de vélo de route et autres pistes cyclables improbables.
Un jour je suis tombé sur cet article qui m’a mis l’eau à la bouche : OneYearOfAdventures. Cette fois-ci on tracera un peu plus droit en mixant la tranquillité du parcours aménagé et les traces populaires sur route de la communauté de cyclistes (en général le parcours qu’ils font à côté de chez eux le dimanche).
Le tout fait 300 bornes de pédalage, 4h de ferry pour passer le bras de mer et tient dans un tour de cadran.
En préparant ce compte-rendu j’ai trouvé d’autres articles écrits en anglais sur ce défi de 24h : par exemple de celui de Simon Wakeman. Apparemment faire le trajet dans l’autre sens suscite un véritable engouement côté anglais.
Stage 1 : Paris > Dieppe, 180km
Pour ce premier tronçon Paris > Dieppe j’ai emprunté maintes fois l’itinéraire aménagé (avec le vélo d’expédition), en plusieurs jours (Le Pays de Bray à vélo) … et une fois en vélo de route en traçant plutôt droit (voir Paris Dieppe à vélo dans la journée).
Je savais déjà à quoi m’attendre. Il y avait juste deux trucs à fignoler :
- La sortie de Paris. Un peu de repérage plus tard c’était décidé : l’échappée se ferait par Saint-Germain-en-Laye
- La circulation en banlieue parisienne. Le point s’est corrigé naturellement : pour attraper le ferry au petit matin il faut rouler de nuit. Et le soir en semaine après être rentrés du boulot les gens ne reprennent pas la voiture. Ils laissent les routes tranquilles.
Ainsi le trajet s’est fait super super tranquillement. Quelques ajustements depuis les dernières sorties ont permis de réaliser cette étape aussi simplement que de mettre une lettre à la poste (le bouton ‘Envoyer’) :
- un bidon accessible avec du jus d’orange, pour boêr tout en continuant à pédaler
- un éclairage puissant et endurant
- des barres énergétiques
Avec le téléphone en mode avion qui délivre de la musique dans l’oreille droite, avec un GPS qui indique discrètement la direction à prendre (par un simple trait sur fond noir), avec un champ de vision délimité à la route je prends un pied fou à enquiller les kilomètres dans cet environnement simple. Je deviens une machine à pédaler.
Les seuls éléments qui viennent dynamiser tout ça sont les centaines d’animaux débusqués par l’éclairage. Donc partout, tout le temps, deux quatre huit paires d’yeux qui évaluent la situation un instant avant de détaler dans les fourrés. Des dizaines de lapins, ces centaines de chats, quelques oiseaux, un blaireau … Je me serais presque cru dans un jeu vidéo des années 80 avec fond d’écran noir et cibles mouvantes. C’est presque indécent d’éclairer aussi fort et aussi loin.
J’ai mis 8 heures pour faire cette première étape, soit 1 heure de moins que la dernière fois. Je pense que c’est du à la circulation moins dense de nuit (moins de voitures sur les routes, moins de poussettes sur les pistes cyclables). Les prolongateurs y sont également pour beaucoup. Maintenant qu’ils sont bien réglés je me pose dessus 95% du temps.
Les kilomètres défilent sans effort. Juste un petit signe de ‘oh ça grimpe ici’ qui m’a rappelé après plusieurs heures qu’il fallait manger et boire régulièrement. La première gorgée de jus d’orange a eu l’effet ‘potion magique’ astérisme. Les barres énergétiques fonctionnent pas mal non plus.
Cette première étape s’est faite d’une traite. On voit les effets de la préparation entre Paris et le parc du Perche. Rien à signaler sinon que le vélo va vite et que – au risque de me répéter – c’est toujours aussi agréable de rouler de nuit.
Stage 2 : le bac
Passer le bac à 40 ans ou plus c’est pas banal. Arriver à 4h30 du matin pour prendre un bac qui appareille à 7h ça ressemble plus à une galère qu’à un ferry. 2h30 à attendre dans le froid. La prochaine fois je lèverai le camp plus tard. Mais la prochaine fois j’aurai peut-être une avarie qui me vaudra de passer le rattrapage. Et pi il fait pas froid et le port a une pièce chauffée. Et pi les marins ont fait embarquer les passagers bien avant le départ. Et pi pour un supplément on peut prendre une cabine surchauffée. Et pi comme il y a personne sur le bateau à cette heure, et comme le trajet fait que 4 heures, peu de gens prennent les cabines.
Donc j’ai eu une super cabine de capitaine pour moi tout seul, avec salle de bains privative. C’était un grand moment de détente avant d’attaquer la suite. Et cerise sur le domac le bateau réveille les voyageurs 30 minutes avant le débarquement au doux son de J. Coltrane. On fait pire.
Bon parlons sérieusement : j’ai quasiment pas fermé l’œil du trajet. Le corps était encore en ébullition des 180 bornes dernières. Et le cerveau était déjà sur la prochaine étape royaume-unienne. Il était aussi un peu pris par un album écouté en boucle sur la partie française (album ‘Culture’ de Migos).
Bizarrement j’ai regretté la mer calme et la quasi-absence de roulis. J’aurais adoré une mer démontée. Je ne sais toujours pas pourquoi. Peut-être l’envie d’en découdre.
Stage 3 : Newhaven > Londres, 100 km
On débarque dans l’inconnu à 10h30. Il a suffi d’un plouf pour gagner une heure. Au loin il y a de belles collines balayées par le vent, façon ‘Fenêtres®’. Pour moi il souffle dans le bon sens. Il faudra bien ça …
Il doit s’être passé un truc pendant cette traversée. Il y a ici une masse de nuages tout à fait exceptionnelle pour un lieu sur terre. Le soleil est loin, très loin derrière un mille-feuilles de couches grisâtres.
La sortie du port me projette sur une départementale surchargée de conducteurs fous. Il y aura 50 bornes de Sussex à franchir à coups de routes sinueuses, vallonnées et délimitées (presque envahies) par de hauts bosquets. J’ai peur pour ma vie. Pas question de mettre de la musique ni de se poser sur les prolongateurs. Serrer les fesses et avancer autant que possible. Sussex sucks.
En plus les gens roulent à gauche ici, mais ça c’est pas un problème. A 5 mètres devant et derrière il y a un fangio senna pour rappeler la file à emprunter. C’est juste aux ’round-abouts’ (rond-points) et aux carrefours compliqués qu’il faut un peu réfléchir.
Avec la fatigue et l’hostilité (ressentie) du coin mes nerfs sont mis à l’épreuve. C’est un peu ce que je suis venu chercher ? L’endurance n’est pas que physique.
Le franchissement des Red-Hills parachève cet épisode collineux vaguement scabreux.
Suivent 30 bornes de ‘flat’. La circulation se densifie encore. << Mais arrêtez de leur vendre des voitures à ces tournedos escalopes steaks rosbifs ! >> crie la grenouille.
Comme il y a moins de virages et de montées la visibilité est meilleure. Donc les voitures accélèrent encore et augmentent la distance de danger. Le frottement des pare-chocs sur la roue arrière du vélo me fait ralentir.
Puis on arrive dans la zone d’influence de la capitale. Le réseau routier voit son maillage rétréci et là commence le ballet des feux rouges et autres bouchons.
Au niveau logistique il y avait pas trop d’autres choix que d’arriver dans le coin en heure de pointe, avec les sorties (tôt) des écoles et du travail. Les horaires des ferries sont un peu déterminants. Mais bon il y avait quand même énormément de bagnoles toute la journée. Et comme il n’y a pas vraiment de types de routes ici, tout le monde essaye de rouler à 120 partout. Et, pomme sur Newton, comme tout le monde ici a ancrée au plus profond de lui une légendaire civilité, tous ces bœufs peuvent piller sans prévenir pour laisser passer un bipède qui – éventuellement – pourrait formuler le souhait de traverser la route, un jour.
Donc désormais c’est dans cette mélasse que j’évolue. Pas étonnant que ces milliards de voitures finissent par s’entasser jusqu’à former un gros tas de m ferraille au premier obstacle.
A partir de maintenant chaque nouveau mètre est un mètre de gagné. Et l’intensité du combat ne fera que se renforcer jusqu’au centre de Londres. Bizarrement j’ai un peu retrouvé mes réflexes de titi parisien en arrivant, à faire des concours de vitesse avec les fixies, à jouer avec les bus et les priorités. Ca m’a valu quelques frayeurs aux embranchements complexes.
Enfin après 5h30 de survie au Royaume-Uni ça y est : le centre de Londres.
La majestueuse Tamise et les beaux bâtiments. Il faut impérativement y revenir un jour pour photographier tout ça correctement.
Maintenant trouver le B&B 16 bornes plus loin dans la banlieue Est. Je traverse des lieux d’exception (Hyde Park, […]) à toute vitesse (beaucoup trop vite). Les hôtes ne sont pas là. Je me retrouve seul dans une belle maison d’artistes à la décoration très british, plantée dans une riviera au bord de la Tamise. J’écrase direct. Le lendemain matin petit-déjeuner avec les ténardiers. Echange agréable. Je reviendrai chez eux quand j’aurai la chance de pouvoir repasser à Londres.
Retour à Paris
Pas moins de 7 trains pour revenir chez d’autres types de fous (les parisiens). Je me suis un peu planté dans les gares, le temps de comprendre que les trains se coupent en deux pour plusieurs destinations. Mais je m’en fous le ticket marche dans tous les trains toute la journée. Et j’ai 12 heures à buller avant d’attraper le ferry de 23 heures qui me ramènera chez les froggies.
Il y avait plusieurs options une fois à Londres :
- Battre la campagne, visiter d’autres coins : non. Il faut mieux étudier les cartes avant.
- ou revenir direct par l’Eurostar : non parce que ça me fait chahuter de démonter le vélo.
Cette fois-ci je reviens tranquillement en France.
Je passe un peu de temps à Newhaven et fais quelques photos du coin.
Épilogue
Bon ça c’est fait. Un premier galop d’essai avant de tenter des trucs un peu plus engagés. Parce que là je suis parti avec un slip et un vélo. Même pas de couteau parce que c’est interdit dans les ferries.
Au niveau physique pas de problème. Au niveau du véhicule c’est la perfection.
Maintenant suis-je prêt pour la traversée éclair de la Suède ? Éclair … disons soutenue. 200 bornes par jour avec un bon relief. Physiquement ça doit être jouable. Par contre s’il y a des tonnes de voitures ça risque de pas être très sexy.
On va déjà caser des trucs intermédiaires avant juillet prochain pour vérifier que tout est ok. Paris > Mont-Ventoux en quatre jours par exemple ?
Allez on retourne à l’atelier cartographie.